Littérature et culture
Quand les romans, les essais ou la poésie s'invitent lors de nos navigations

(ou que nous nous invitons chez eux...)

Cette page renvoie à certaines de mes lectures en rapport avec des contenus du blog ou, tout simplement, en rapport avec la navigation et la Grèce. 
La plupart sont embarqués à bord, papier ou numérique.

Onglet "culture"..., au sens propre,
avec la découverte d'une fleur crétoise
aux propriétés reconnues dès l'Antiquité :

LE DICTAME DE CRÈTE

La douceur du velours du Dictame de Crète en Grèce est connue depuis l'Antiquité en Crète.
Elle a des propriétés thérapeutiques et aromatiques étonnantes.

Pour notre part, nous l'avons découvert dans une herboristerie de Lakki (île de Léros), 
en le cherchant pour une amie qui l'avait ramené de Crète.
Fleurs de dictame

Le dictame de Crète

Où trouver le dictame ? 
C'est une plante endémique appellée scientifiquement Origanum dictamnus. Elle est de la famille des Lamiacées (comprenant la plupart des plantes aromatiques connues comme le thym, par ex.). Elle se trouve assez haut sur le mont Dicté, d'où son nom, mais on peut la trouver dans toute la Crète, ceci dit seulement sur l'île. 
Le dictame sauvage est difficile à trouver car il pousse en général dans les anfractuosités des rochers, bien protégé des écarts climatiques. 
Cette herbe peut résister au froid, mais elle a besoin d'un sol sec, un peu alcalin et très ensoleillé.

Comment est le dictame ? 
C'est une petite plante d'une longueur de quarante cm, d'odeur et de goût très fort (saveur me faisant penser à l'origan et au thym avec des notes épicées et un peu amères). Ses feuilles en forme de coeur sont petites mais dodues, couvertes d'un fin duvet blanc. Son aspect est d'une couleur bleu-gris et ses fleurs ont une couleur dégradée tirant vers le fuchsia en fin d'été. Les fleurs ont des organes mâles et femelles : elles sont facilement pollinisées par les abeilles.

Le dictame préparé par le médecin grec Hippocrate
Cette plante était dédiée à la déesse grecque Artémis (aussi déesse de l'accouchement). C'est une plante connue depuis le début de l'histoire crétoise. Le plus grand médecin grec de l'Antiquité,Hippocrate, considérait cette plante comme une panacée et confectionnait divers remèdes reconnus comme miraculeux à l'époque. De plus, dans l'Antiquité, Aristote et Théophraste, Dioscorides, Plutarque, Cicéron et Pline, etc., écrivaient que le dictame était capable de rejeter les flèches ayant blessé les chèvres sauvages de Crète. Dans l'histoire, c’était aussi une plante appelée "Erontas", signifiant "Amour" en grec. Elle était considérée comme aphrodisiaque, et seuls les amoureux les plus ardents se rendaient dans les gorges profondes de Crète avec des cordes pour aller la cueillir toute en fleurs à l’intention de leur bien-aimée. Le dictame a fasciné les gens dans toute l'Europe au fil des siècles et continue d'occuper une place particulière dans les traditions culturelles et de guérison.La France était un des grands pays importateurs de dictame jusqu'à la fin des années 30.

Indications
Les propriétés du dictame sont considérables. Elles combattent...
  • les maux d'estomac (dont l'ulcère) et du système digestif (le dictame est aussi appelé (e)stomachorto),
  • les maux de tête, la fièvre et la toux (mal de gorge, amygdalite),
  • les maux de dent, inflammation de la gencive, mauvaise haleine (feuilles fraîches à macher)
  • l'atonie, en stimulant le système nerveux, le stress oxydant,
  • la diarrhée (mais propriété anthelmintique - vermifuge -) dans la confection du Diascordium,
  • le diabète (production d'insuline) et l'obésité (combat aussi la cellulite)
  • les abcès et boutons (comme un cataplasme), le vieillissement (en huile essentielle),
  • les rhumatismes et l'arthrite (pommade contre la sciatique par ex.)
  • l'aménorrhée (en cas d'absence de règles) et l'accouchement difficile,
  • les plaies, comme l'ont écrit les philosophes Aristote et Théophraste,
  • les invasions bactériennes (l'huile essentielle inhibe la croissance de fongues),
  • les problèmes circulatoires et cardiaques (propriété spasmolytique),
  • les radicaux libres et les inflammations.
  • La teneur en carvacrol et en flavonoïdes du dictame favorise ses propriétés antioxydantes.

Contre-indications du dictame
Il est préférable que les femmes enceintes ne l'utilisent pas (cas d'accouchement précoce).Il existe aussi une toxicité après une utilisation quotidienne répétée. On peut l'utiliser 2 fois/jour en tisane mais pas plus d'une semaine.

Comment utilise-t-on le dictame
Le dictame de Crète est très prisé mais peu connu. Il était récolté vers la fin juillet et il était exporté pour des produits pharmaceutiques, la parfumerie et pour aromatiser des boissons telles que le vermouth, le Martini italien, etc. Il est interdit de cueillir le dictame sauvage depuis la Convention de Berne de 1982 car il est en voie de disparition. Il est alors cultivé depuis plusieurs années dans le village d'Embaros et tout autour, au sud d'Héraklion, en Crète.
On le trouve toute l'année, mais il est plus efficace quand il a sa couleur vive avant la floraison. Il est encore aujourd'hui exporté de Crète. Il est utilisé en pharmacologie comme ingrédient très populaire et il est utilisé pour faire des produits de beauté naturels et des tisanes. Il peut également être utilisé en cuisine (soupes et sauces pour la viande) car il a comme cette douce saveur de l'origan. 

Ma tisane de dictame
On peut préparer cette tisane de dictame tous les jours en hiver (une fois/jour) pendant une bonne semaine pour les petits problèmes de digestion ou/et quand on attrape un bon coup de froid avec de la toux expectorante.
Décoction : prendre une bonne c.c de dictame pour 200 g d'eau et la chauffer à 90 °C (en-dessous du point d'ébullition). Attendre 10 minutes et retirer le dictame de la théière. Cette tisane est diurétique. Quelquefois, en cas d'irritation de la gorge, on peut ajouter une cuillerée de miel.
En mer à bord de Dune

Littérature & culture

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Hugo Pratt : 
Mū la cité perdue


Aventurier élégant et ironique, Corto Maltese - amoureux de sa liberté et des femmes - traverse le monde, toujours en quête d'un trésor caché, d'un ami à sauver... ou d'une cause perdue à défendre. 

Pacifique sud, 1925. Corto Maltese retrouve Raspoutine, Steiner, Tristan Bantam et Bouche Dorée pour explorer une île inconnue, qui renfermerait l'une des dernières entrées vers le continent englouti de Mu, également connu comme l'Atlantide.
Hugo Pratt : Mū la cité perdue

Pierre Benoit : L'Atlantide

Au cours d'une exploration dans le Sahara, deux officiers français, André de Saint-Avit et Jean-Marie-François Morhange sont capturés et se retrouvent dans un palais merveilleux, un véritable paradis terrestre. Ils apprennent alors qu'ils sont prisonniers d'une femme, la reine, la sultane, la souveraine absolue du Hoggar, Antinéa, petite-fille de Neptune, la dernière descendante des Atlantes, et que, dès qu'ils l'auront vue, ils renieront tout pour elle, famille, patrie, honneur... 

Roman plein de péripéties, à l'atmosphère mystérieuse et envoûtante, dans un décor de complet dépaysement, L'Atlantide, Grand Prix du Roman de l'Académie française, consacra de façon éclatante le talent de Pierre Benoit qui venait d'obtenir un énorme succès avec son premier ouvrage, Koenigsmark.

SÉRIFOS • SIFNOS • KIMOLOS • MILOS •SIKINOS • AMORGOS • FOLÉGANDROS • IOS
Voici comment Lawrence Durrell, maintes fois cité dans cette rubrique, règle très vite son compte avec plusieurs des îles où nous avons mouillé (sauf Sikinos). 
Seule l'île d'Ios trouve grâce à ses yeux : le paradigme (non avoué) est la présence ou l'absence de vestiges antiques... Bien entendu, nous avons d'autres critères et nous soupçonnons même Durrell de n'avoir pas mis les pieds ni la coque dans ces îles qu'il dénigre...: de notre côté, nous avons trouvé une originalité à chacune d’entre elles.

"J'espère que l'on ne m'accusera pas de prendre mes îles à la légère, si j'entreprends maintenant de traiter en bloc un lot d'îles, certes jolies, mais très analogues et qui, tout en ayant un charme indéniable, sont considérablement plus pauvres en monuments.
Sériphos et Siphnos, on dirait les Gémeaux, et elles seressemblent fort par la taille et le rôle. Il est difficile de visiter Kimolos et Sikinos, et encore plus difficile d'en sortir, étant donné leur position écartée ; et franchement, elles n'en valent pas la peine, à moins que vous ne soyez aussi résolu et systématique dans votre inspection de la mer Égée que le vieux Theodore Bent, auteur du vrai classique sur cette région.

Sériphos, tachée de rouille, évoque silence et pauvreté ; ses abords de rochers lugubres vous mettent d'une humeur bien différente de l'allégresse éveillée par Rhodes ou Mykonos. Livadhia est un petit port bien net pour jeter l'ancre un été si vous avez un yacht personnel ; sinon, c'est plutôt un endroit pour romanciers et autres suicidaires en puissance. Siphnos, tout à côté, a ses beautés aussi, mais plus trace des richesses pour lesquelles elle était renommée dans l’Antiquité. Les filons sont épuisés, les temps ont changé. Milos (d'où vient la « Vénus de Milo») est un trou, avec une baie magnifique, si vaste qu'elle put recevoir la flotte alliée tout entière, pendant la guerre de Crimée, et de nouveau pendant la guerre de 14-18.
Sikinos et Amorgos sont des îles plutôt sinistres qui n'ont pas grand-chose à leur crédit, bien que les villages soient jolis et les habitants gentils ; les mouillages sont mauvais, et si par hasard vous vous laissiez coincer là, vous y péririez d'ennui comme un géranium qu'on a oublié d'arroser. Pholégandros est encore une île qui ne peut plaire qu'aux solitaires. J'ai jadis connu un peintre du nom de Chloe Peploe qui passait les étés toute seule dans le petit village, à peindre. On y envoyait jadis les exilés politiques.

Exceptionnelle parmi ces îles est la petite Ios, l'île la plus belle et la plus poétique de sa taille dans cette partie de la mer Égée. Homère, dit-on, y vint mourir ; c’était un choix inspiré. Alors que tant de villes affirment être son lieu de naissance, seule Ios revendique être celui de sa mort. Sa prétendue tombe - mais pourquoi prétendue ? - se trouve sur le flanc nord du mont Pirgos, un site merveilleux où l'herbe sauvage frémit au vent du nord et où l'ascensionniste fatigué, ayant déballé son pique-nique, tourne ses regards vers l’Orient, vers l'Asie et les plaines lointaines de Troie.
Ios est toute pleine de la poésie de ses calmes vallons vertset de ses vignobles ; sa toute petite ville est immaculée, son petit port beau et sûr. Il faudrait prendre la peine de débarquer ici et de goûter la félicité des silences, rompus  seulement par une cloche d'église lointaine ou un braiement de mule. Même le vent paraît faire la sieste et l'on dort soi-même à poings fermés. Heureusement les principaux bateaux qui font le service des îles s'y arrêtent maintenant deux fois par semaine, de sorte qu'on peut passer quelques jours à terre et reprendre le bateau sur le chemin du retour." (Ibid., p. 297-298)

Île de Poros

Les écrivains séduits par Poros relèvent sa ressemblance avec Venise, notamment pour son atmosphère romanesque...
Parmi eux, Georges Séféris et Henry Miller (qui fut l'époux de Marilyn Monroe, pour situer..., mais ce n'est pas sa seule qualité !)
Georges Séféris 
Georges Séféris a passé quelques jours de vacances dans la Villa Ghalíni (en français, "Sérénité") à Poros, écrivant des poèmes et son Journal. Il écrit notamment le 13 août 1946 :
« La mer, le lever du soleil, la lumière... Elle a quelque chose de Venise : le canal, une communication entre les maisons et les bateaux, le faste, la nonchalance, la tentation sensuelle, quelque chose d'esthétique, un lieu pour les amants du monde, qui produit de la magie. Il y quelque chose de l'espace clos ici, avec la lune haut dans le ciel et toute la journée, l'écho de la musique des cuivres provenant de l'école navale. La nuit dernière, allant me coucher, je suis resté un moment sur le balcon de ma chambre, fasciné par la courbe des montagnes en face... »
Henry Miller
Henry Miller, le célèbre écrivain américain, est passé à Poros en 1938. Dans son livre, Le Colosse de Maroussi, il écrit cette célèbre description de Poros. Son impression la plus frappante est la sensation de "naviguer sur terre", tant la mer et les rues lui semblent imbriquées :
« La mer était là, mais la côte aussi, les chèvres l'escaladaient. Les champs de citronniers étaient visibles et l'ivresse provenant de leur parfum nous avait déjà saisis et nous entraînait jusqu'à ce que nous succombions. Je ne sais pas ce qui m'a touché le plus profondément, les vergers de citronniers, juste en face ou Poros elle-même quand soudain j'ai réalisé que nous naviguions dans les rues. S'il est un rêve qui me plaît par-dessus tout, c'est celui de naviguer sur terre. Entrer à Poros donne l'illusion de la profondeur du rêve. Soudain, la terre converge sur tous les côtés et le bateau est coincé dans un étroit détroit à partir duquel il semble n'y avoir aucune issue. Les hommes et les femmes de Poros sont penchés aux fenêtres, juste au-dessus de votre tête. Vous arrivez en face de leurs narines, comme pour un rasage ou une coupe de cheveux en passant. Les chaises longues sur le quai avancent à la même vitesse que le bateau, elles peuvent marcher plus vite que le bateau si elles choisissent d'accélérer leur rythme... L'île s'enroule en plans cubiques, celle des murs et des fenêtres, l'autre des rochers et des chèvres ... Et sur le continent, aux courbes comme une lèvre, les vergers de citronniers sauvages, au printemps, rendent fous jeunes et moins jeunes du parfum de la sève et des fleurs. Vous entrez dans le port de Poros en balançant et en tourbillonnant, comme un doux idiot ballotté au milieu des mâts et des filets dans un monde que seul connaît le peintre. »

Le temple d'Aphaïa sur l'île d'Égine
Lawrence Durrell, Les îles grecques

« C'est une petite ville attrayante, avec une église distinguée, dédiée à saint Nicolas, patron des marins, ce qui nous rappelle qu'il fut un temps où la petite île rivalisa de richesse et de puissance maritime avec Athènes. En fait, elle était si forte qu’elle garda son indépendance de la métropole pendant des dizaines d'années ; elle ne fut finalement réduite qu'en 458 avant J.-C., mais si complètement qu'elle ne s'en releva jamais. La bataille fut longue et acharnée ; les Athéniens ne trouvèrent pas d'autre moyen de sanctionner leur victoire sur cette intrépide petite puissance maritime et d'en assurer la permanence, que de détruire la ville et de déporter tous ses habitants.

Le principal centre d'intérêt pour le voyageur actuel est le temple d'Aphaia ; on y va directement du port en voiture ou en autobus. Il est peut-être plus rapide, mais plus fatigant, de s´y rendre en bateau ou à dos de mule. De toute façon on ne regrettera pas cette excursion, car le temple est haut perché sur une butte élevée et boisée jouissant d'une des plus belles vues qu'on puisse imaginer. C'est un site inspiré qui vous donne envie de vous y attarder et d'y assister au coucher du soleil dont la roue de feu traverse lentement le golfe. Par une claire journée on peut repérer le Parthénon à l’œil nu, et derrière lui le mufle rocailleux et violet du Lycabette. Tout en bas, la mer est pleine de petits navires qui se traînent doucement sur l'immensité bleue coupée de blancs sillages.Le temple lui-même - quelle déesse lunaire a jamais eu un temple sur un tel site? - est encore relativement existant, à la différence de celui d'Aphrodite dans la plaine en dessous, dont il ne reste plus qu'une colonne abîmée et un puzzle de fondations. 
Le temple d'Aphaia possède encore plus de vingt colonnes doriques fièrement dressées, ainsi qu'un morceau d'architrave, et il repose sur une terrasse artificielle qui recouvre elle-même les fondations comblées d'un monument plus ancien. Dans cette couche du VIe siècle on a découvert une inscription révélant que l'édifice était consacré à Artémis Aphaia. Il paraît qu'Aphaia veut dire la « non noire », par contraste avec Hécate, la « toute noire ». Il fut un temps où les Minoens arrivèrent jusqu'ici et assujettirent l'ile, ce qui a donné à penser à certains savants que la déesse pouvait être une version ou une parente de la déesse crétoise de la lune, Dictynna.


Peu importe, la merveilleuse poésie de ces ruines est ineffable, et si cela devait être votre premier aperçu de la Grèce antique, vous ne l'oublierez pas. »


(Ibid., p. 304-305)




Sphinge du temple d'Aphaia, 460 av. J.-C., Musée archéologique d'Égine.

Égine et Aphaïa :
L'enthousiasme boulimique de deux jeunes archéologues

Assoiffées de découvertes, Marthe Oulié et Hermine de Saussure (Ibid., p. 25) expédient assez vite leur visite au temple d’Aphaïa, qui méritait mieux. Il est vrai qu’elles venaient d’être éblouies par l’Acropole d’Athènes et par le temple de Sounion, et que Délos aussi bien que la Crète réunissaient tout leur intérêt. 
D’ailleurs, en 1924 au moment de la croisière des jeunes filles, l’archéologie allemand Adolf Firtwängler venait tout juste de découvrir un relief votif à Aphaïa et de déterminer une attribution définitive à Aphaïa (et non à Athéna). Le temple est cependant encore souvent appelé Athéna Aphaïa, puisqu’on s’imaginait qu’il honorait ces deux divinités.
Les deux jeunes filles partent du port principal de l’île, Méthana, et effectuent une visite éclair au site.

« Pour gagner le temple d'Aphaïa, il faut traverser l'fle, que dorent, en décembre, les dernières feuilles des vignes.
Il est caché entre les pins et surplombe une petite baie de la côte Est : Haghia-Marina. Ses colonnes, de pur style dorique, sont d'un calcaire gris très doux.
Après de nombreux piétinements archéologiques et une courte sieste dans ces cavités qui passent pour les baignoires antiques des prêtres, nous redescendons vers l'autre temple, celui d'Aphrodite, dont il subsiste une seule colonne sans chapiteau, qu'on prendrait volontiers de loin... pour une cheminée d'usine.
La perle du musée est une sphinge en marbre archaïque, à vaste collerette, une sphinge très apprivoisée. »

Approche à la voile de Syros et d'Ermoúpoli en 1924 : 
100 % féminine !

Laissons à Marthe Oulié (co-autrice) le soin de nous décrire l’approche de l’île et de la ville, dans l’ouvrage paru en 1924 intitulé La Croisière de "Perlette", 1’700 milles dans la mer Égée. Elle effectua ce périple en 1923-24 avec Hermine de Saussure, une amie d’enfance d’Ella Maillart, avec qui cette dernière effectua (et gagna !) nombre de régates, notamment sur le Léman.
Marthe et Hermine, toutes deux, étudiantes, l’une docteure ès lettres et l’autre licenciée, tentées par l’aventure d’Alain Gerbault et riches des frais souvenirs de leurs humanités, s’étaient embarquées à bord d’un petit monotype, Perlette, et seules maîtresses à bord après Dieu, étaient parties pour la Grèce dans le sillage d’Ulysse. 

Un an plus tard, en 1925, Marthe Oulié et Hermine de Saussure formèrent un nouvel équipage sur un voilier sans moteur à peine plus grand, Bonita, avec, notamment, Ella Maillart comme seconde. 
Un autre ouvrage, Cinq filles en Méditerranée, 1925, Quand j’étais matelot (réédité en 2004) , écrit par Marthe Oulié, raconte avec charme le convoyage de Bonita de Marseille à Athènes, effectué par ces jeunes filles de moins de vingt-cinq ans, un vrai exploit !

« Syra, de la mer, à les lignes simples d’un grand fauve couché; elle en a le pelage ras et pâle, couleur de tabac clair, bleuté aux flancs des ravins.
La côte nord-est que nous longeons maintenant ne présente guère que de grandes falaises de schiste travaillées par les eaux. L’aridité de l’île étonnerait le voyageur ingénu qui, tel Rousseau, s’attend droit à voir préparer les loukoums, les nougats et les figues sous de riches ombrages.

Nous déroulons bientôt complètement; il n’y a plus de brise.
La ville, Hermoupolis, qui apparaît au milieu de la côte orientale, arracherait aux plus blasés un cri d’admiration : on l’a qualifiée de blanche et molle odalisque, on l’a comparée à deux superbes grappes s’écroulant dans la mer… Sur un fond de collines sombres, ses maisons claires s’étagent au flanc de deux cônes en forme de volcan et viennent se masser avec leurs belles façades peintes et leurs fenêtres voûtées, tout autour du port. Au temps des Vénitiens, la ville ne comptait qu’une seule montagne un peu en retrait [Ano Syros] : encore aujourd’hui, dominée par l’hôpital français et l’évêché, elle est demeurée la ville catholique. Sur l’autre, c’est la ville orthodoxe, construite récemment sur un plan semblable, autour d’une église à coupoles bleues, et qui descend jusqu’aux quais. » 
(Op. cit., éd. orig., pages 103-104).

Ermoúpoli (île de Syros) : 
je trouve une librairie avec un rayon francophone !


M. Karagatsis : 
La grande chimère
L’’intrigue se passe à Syros où une jeune Française, Marina, férue de grec ancien et de culture antique, vient vivre accompagnée de son époux grec rencontré dans sa ville natale, Rouen.  
Je suis en train de lire cette « réplique grecque de Madame Bovary », selon la quatrième de couverture.




Sur l'auteur (extrait de la rubrique Wikipédia) :
"M. Karagatsis (en grec moderne : M. Καραγάτσης) est le nom de plume de Dimitrios Rodopoulos (en grec moderne : Δημήτριος Ροδόπουλος), un écrivain grec du xxe siècle. 
Il fait partie de la « génération des années 1930 ». Il a écrit de nombreux romans, nouvelles, pièces de théâtre ainsi que des œuvres d’inspiration historique. Plusieurs d’entre eux ont été adaptés en séries télévisées, traduits en français, en anglais, en espagnol et en allemand et ont fait l’objet des travaux académiques."


Autres découvertes littéraires

Dimitri Maras : 
«Le dieu cannibale»

Georges Séréfis : 
«Quelques points de la tradition grecque»

Eva Nastou Paraskevi : 
«Dictionnaire insolite de la Grèce»

et un guide touristique sur l’île de Syros.





Lawrence Durrell : 
Les îles grecques  (Patmos)

Lawrence Durrell distille son humour très british dans une savoureuse description de Patmos. Le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas été très sensible à la ferveur provoquée par les lieux...

Patmos est la plus septentrionale [des îles du Dodécanèse]. Posée comme une grosse tortue au milieu d'une poussière d'atolls, elle a des qualités sculpturales, mais son paysage n'a rien d'extraordinaire. D’autre part, elle constitue une anomalie en un sens assez curieux: elle est entièrement chrétienne et ne semble pas avoir conservé la moindre trace de la culture grecque antique. On n'y trouve pas non plus "l'habituelle suite d'invasions, d'habitats néolithiques, etc. Elle sort tout à coup de l'Apocalypse dans toute sa gloire. Le simple fait que cet étrange poème transcendantal, digne d'un Dylan Thomas antique, ait vu le jour dans le trou sinistre que les moines nous montrent encore avec fierté et vénération, place automatiquement Patmos dans la catégorie la plus élevée des lieux poétiquement évocateurs.

Le monastère, au sommet de l'île, est d’une beauté sombre et un peu sévère ; il couronne parfaitement le pâté de l'île, qui n'a pratiquement pas de verdure, étant presque entièrement constituée de pierre intransigeante. 
Sept collines, sept lettres, sept cierges, sept étoiles... Le numérologue ivre qui nous donné ce magnifique poème lourd de menaces l'a, paraît-il, conçu et exécuté dans une caverne, sur l’emplacement de laquelle est maintenant érigée une chapelle dédiée à sainte Anne et à l'Apocalypse. Le moine résident vous montrera non seulement l'image de sainte Anne, mais le trou foré dans le rocher par la voix de Dieu quand il s'est adressé à saint Jean. Tout ce délire fut noté à la vitesse de la révélation elle-même, en sténo sans doute, par le disciple Prochorus, qui utilisa une saillie du mur en guise de bureau. En tout cas, c'est une magnifique lecture dans la version anglaise. Sur le mur, une auréole argentée marque l’endroit où l’apôtre reposa sa tête. 

L’endroit est incroyablement sinistre en hiver - ma dernière visite eut lieu pendant un orage. Le vent hurle à l’extérieur et, dans la grotte, toute la montagne résonne de sources invisibles roulant des galets de tous côtés, à quoi s'ajoute le bruit de l'eau qui dégoutte à entrée. Le moine de service à cette époque était un triste individu qui avait l'aird'un épagneul juste réchappé de la noyade ; il était visiblement très superstitieux et se signait avec ardeur chaque fois que le vent gémissait. Je fus content de sortir de là et de regagner le port où mon compagnon de voyage s'était mouillé le gosier dans une taverne sans carreaux aux fenêtres. Des pinceaux de lumière blanche se déplaçaient dans le ciel comme des projecteurs de campagne dans l'après-midi noire comme la nuit. Il n'était que trois heures, mais il fallait donner les lumières. Une collection d'éclairs allumait des reflets sur les fenêtres du monastère tout en haut de la colline. Je songeai avec compassion au pauvre Prochorus installé à son bureau de pierre pour transcrire un poème compliqué plein d'images asiatiques. Le site de la révélation fut négligé pendant des siècles ; c’est seulement en 1088 que l’empereur Alexis Comnène le confia à saint Christodoulos pour y fonder un monastère.

Quand on songe à la piraterie intense qui sévissait dans les parages en ce temps-là, on se demande si cette confiance de l’empereur n était pas simplement une façon polie d'exiler un em...deur. De toute façon, c'était un acte de haute témérité de se lancer dans la fondation d' un monastère en un lieu aussi peu protégé. Cela n'arrêta pas le vieux saint, et nous pouvons encore admirer les bâtiments qui furent le fruit de son labeur et de celui de plusieurs générations après lui. Tout est peint d'un blanc éclatant, et les tours et les clochers forment des motifs cubistes d'une grande beauté, sans la moindre trace de mièvrerie. En parcourant les remparts de cette forteresse qui domine toute la contrée, on se rend compte que Patmos est formée de trois masses de roche métamorphi-que, pratiquement séparées les unes des autres. Port-Scala, excellent mouillage quand il y a un vent violent ou une mer démontée, est un fjord très profond qui coupe presque l'île en deux.

La cité antique, pendant la brève période où elle fut une colonie ionienne, fut établie là ; par la suite, les Romains y exilèrent des politiciens gênants. Le reste de l'histoire locale n'est que chaos indescriptible et piraterie jusqu’à l'arrivée du brave saint Christodoulos. La force et la position stratégique du grand monastère fortifié montrent tout ce qu'il fallait faire pour assurer la défense de l'île. Le corps du fondateur repose dans une châsse, à l'intérieur d'une chapelle pleine de décorations byzantines entortillées dont l’obscure splendeur est impressionnante mais pas particulièrement édifiante.Quant à saint Jean... eh bien, il ne paraît pas absolument certain que sa grande œuvre littéraire fut écrite à Patmos plutôt qu'ailleurs ; tout ce qu'on sait, c’est que Domitien l’y avait exilé vers 95 après J.-C. Le plus remarquable est que les Actes de saint Jean, ceuvre d'hagiographie pieusement rédigée par son disciple Prochorus, traitent de nombreux miracles accomplis dans l'île mais ne mentionnent pas que l’Apocalypse y ait été écrite. De toute façon, elle n'a jamais été acceptée par les orthodoxes et elle est rangée parmi les Apocryphes. Sans doute à cause de sa qualité.
En visitant les fortifications, on a une vue magnifique de l'île tout entière, et l'on entr’aperçoit même au nord le sinistre mont Kerketio, qui ressemble à un requin marteau prêt à se jeter sur sa proie. Il semble attirer les orages, et les feux d'artifice qui s'y allument souvent ont donné naissance à un certain nombre de légendes dans l'île de Patmos, où les paysans l’appellent la « lumière de saint Jean ». J'ai essayé de trouver une raison concrète à cette attribution assez bizarre, une légende ou un conte populaire qui expliquerait ce que le démon saint Jean avait à faire avec les orages sur cette montagne éloignée - mais j'ai échoué. La paysanne à qui je posai la question n'y répondit pas mais, nullement troublée, elle se contenta de hausser les épaules et de continuer à battre un poulpe sur les rochers de Scala, afin de l'attendrir pour déjeuner. Le vrai trésor de Patmos est sa grande bibliothèque,pour laquelle, avec le panorama, il vaut a peine de monter à dos de mulet la route vertigineuse et effrayante qui conduit au monastère.La grande bibliothèque n'est plus que l'ombre de ce qu’elle fut. Des collectionneurs diligents ont, en deux siècles, volé ou emprunté des articles d'une valeur inestimable qui ont été acquis ensuite par les bibliothèques nationales d'Allemagne, de France et d'Angleterre. On retrouve ici le même argument qui a été fabriqué pour excuser l'affaire des marbres d'Elgin, à savoir que l'ignorance et la négligence locales constituaient un plus grand danger pour les manuscrits que leur détournement pour un marché qui a au moins conservé le butin de telles razzias. Il n'y aurait pas eu de contestation au sujet des marbres d'Elgin, si celui-ci ne les avait pas achetés, car l’apathie des Grecs n'avait d'égale que la négligence des Turcs. Et maintenant que l’Acropole elle-même se décompose, victime du moteur à explosion, que faut-il en penser? Quant à moi, je crois que j'aurais rendu les originaux et gardé des copies en plâtre pour le British Museum. Pour nous, ces objets sont simplement des possessions d'ungrand intérêt historique, tandis que, pour les Grecs, ce sont des symboles inextricablement liés à leur lutte nationale, non seulement contre les Turcs, mais aussi contre tous ceux qui voient en eux les descendants abâtardis de tribus étrangères nullement des Grecs. La campagne d'Albanie a eu heureusement raison de cette image et rendu à la Grèce moderne sur la carte du monde sa place méritée d'héritière authentique de Périclès. Le simple « Non » de la Grèce à Hitler fut aussi parfait que n'importe quelle déclaration de Périclès.

Le catalogue de la bibliothèque de Patmos répertorie environ six cents manuscrits, dont il ne reste plus que deux cent quarante sur place. Le plus précieux, et le meilleur régal pour les yeux, est le célèbre Codex Porphyrius, du Ve siècle, dont la plus grande partie se trouve encore en Russie. L'Église orthodoxe a toujours eu des liens étroits avec les Balkans, encore qu'il ne reste plus que quelques-uns des monastères originellement occupés par des moines russes. Le mont Athos a toujours été pour eux un lieu de pèlerinage sacré. Le sens de l’absolu de cette étrange péninsule, où aucune créature femelle, femme, jument ou poule n'est admise, en fait une ıntransigeante pépinière de moines à penchant mystique.

(Ibid., p. 192-196).

Lawrence Durrell : 
Les îles grecques (Kalymnos)

Encore une fois, lisons les lignes savoureuses de Lawrence Durrell à propos de Kalymnos (ouvrage publié en 1978, sur ses séjours en Grèce de 1937 à 1939, puis en 1945) : 

« Jusque vers 1900, on cherchait les éponges à Calymnos même et autour des îles voisines, à Astipalée en particulier, bien que les hommes qui se livraient à cette occupation périlleuse vinssent d'un certain nombre d'îles différentes. Le centre de négoce lui-même semble avoir toujours été à Calymnos, peut-être à cause de son excellent mouillage et de ses larges quais où stocker la marchandise. C'est encore vrai aujourd'hui, bien que l'appauvrissement de la mer et la concurrence des éponges artificielles forcent les pêcheurs à explorer plus loin et plus profond. Les dangers du métier ont été considérablement aggravés par la plus grande profondeur de plongée. La plongée autonome n'est plus possible, mais il n'y a guère d'argent à investir en équipement de haure qualité, fort coûteux. Jusqu'à une époque récente, il n'était pas rare de voir utiliser de vieux costumes de plongée de la Marine britannique ou française, depuis longtemps abandonnés par elles à cause de leur insuffisante sécurité; il y avait des bateaux spécialement équipés de pompes à air, mais leur vétusté était terrifiante. Peut-être existe-t-il maintenant des moyens de protection plus sérieux contre les risques de cette profession poétique, et le scaphandre autonome doit faciliter les choses. Du moins je l'espère. Les accidents ne sont pas rares; il faut vraiment avoir le cœur bien accroché pour choisir ce métier. La plongée à des profondeurs accrues peut aussi causer la terrible maladie professionnelle appelée ivresse des profondeurs, empoisonnement du sang par des bulles d'azote. On rencontre un certain nombre de ses victimes à Calymnos, pauvres créatures voûtées et tordues, vieillards de quarante ans jetés aux ordures par la loi inexorable du marché de l'emploi.

Une fois sur le rebord de votre baignoire, il est difficile de croire que l'éponge est en fait un animal, un animal qui s'alimente en filtrant des micro-organismes contenus dans l'eau qu'elle propulse à travers le réseau de pores et de canaux qui la constitue. Il en existe quelque cinq mille espèces de par le monde, et de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, mais la variété la plus commune et la plus utile est pêchée en Méditerranée orientale, pêche à laquelle la flotte de Calymnos contribue pour une large part. La profondeur moyenne est aujourd hui de soixante mètres. Mais, au bon vieux temps, il y avait des colonies assez proches de la surface pour être récoltées à bord d'un bateau à rames, à l'aide d'un crochet ou d'un grappin. Maintenant, il faut se rendre sous un soleil brûlant jusqu'aux côtes de Chypre et de Libye pour une saison entière et rentrer chez soi non sans risques quand le mauvais temps commence.

Les ex-voto exposés dans les chapelles et les églises du pays racontent de façon imagée, naïve et touchante les dangers courus dont on est sorti sain et sauf, grâce au saint patron, cela va sans dire.La préparation des éponges pêchées a parfois lieu à bord, mais plus souvent, pour plus de confort, le long des quais hospitaliers du port. La technique consiste à faire pourrir et à extraire progressivement les tissus mous, en rinçant à l'eau de mer, puis en faisant sécher un grand nombre de fois l'éponge.C'est une opération fatigante, ennuyeuse, et qui sent passablement mauvais.

On éprouve un certain choc quand on pense que la reproduction sexuelle est la grande affaire de toutes, ou de presque toutes les espèces. L'éponge a une histoire presque aussi longue et aussi remplie que celle de la Méditerranée elle-même. Dans le court laps de temps de notre propre civili-sation, nous trouvons déjà cet utile petit animal mis à contribution comme accessoire ménager en Grèce et à Rome. Les serviteurs de l'Odyssée l'utilisaient pour essuyer les tables, les artisans pour appliquer la peinture, et les soldats pour boire quand ils n'avaient pas de gobelets. Au Moyen Âge, l'éponge brûlée était recommandée pour la guérison de diverses maladies. De tout temps, elle a été utilisée, en conjonction avec de l'huile d'olive, comme dispositif contraceptif par les professionnelles. Celles qui règnent aujourd'hui sur la Plaka d'Athènes ignorent qu'elles sont déjà citées par Athénée quand elles usent approximativement du même argot, où le mot éponge est généreusement et pittoresquement mis à contribution. Autre usage curieux: comme coussinet dans une certaine partie de l'armure classique, on aura deviné laquelle. » 

(Ibid., p. 182-184).











Voici l’ouvrage que j’évoque à propos de Náoussa.
1er juin
Je vous présente un nouvel ouvrage, dont je parlerai en détail plus tard. 
Il s'agit de La Promesse du large, d'Arnaud De La Grange. Je n'ai jamais rien lu d'aussi poétique ni d'aussi admirable sur la mer et sur la navigation.

Il m'avait fallu connaître le récit d'Erri De Luca, Impossible, pour comprendre comment on peut aimer la montagne, d'un amour passionné.
Je crois que, pareillement, on peut comprendre et partager l'amour de la mer et de la voile avec cette Promesse du large.



Un été avec Ulysse. 
" Pylos "

Soir du 12 mai 2024

Sur la plage où nous sommes ancrés aux abords de la baie de Navarin (ou baie de Pylos), le bois à demi-consumé d'un feu me rappelle un passage justement intitulé du nom de cette baie, tiré de l’ouvrage de Sylvain Tesson et embarqué avec nous : Un été avec Homère.

Discutant autour d'un feu de bois avec un archéologue suisse au sujet de la civilisation mycénienne et de son effondrement, Sylvain Tesson en vient à actualiser une des problématiques liées à l’immigration, prônant une saine intégration et un sens aigu de l'accueil, moyennant le partage de la culture et de la langue du pays hôte.
Un soir, à Pylos, nous descendîmes sur la plage, l'archéologue suisse Pascal Simon et moi-même. Nous construisimes un feu car il y avait du bois échoué sur le sable. Ce que l'homme doit au feu : ne plus se sentir seul dans l'incompréhensible grandeur de la nuit. Ce fut le plus beau moment de notre longue route. Comme personne ne nous regardait et que l'administration moderne n'avait pas infecté ces parages avec ses directives hideuses et ses recommandations débiles, il n'était interdit ni de fumer, ni de boire, ni de réciter de la poésie en déchirant des quartiers de viande. Les caméras ne tournaient pas, c'était le moment de dire des choses. J'avais devant moi un spécialiste de la renaissance grecque du viiie siècle. Je le cuisinai un peu alors que bouillait la soupe. « Quand apparaît la civilisation mycénienne ?
  • En 1600 av. J-C.
  • Et quand s'effondre-t-elle ?
  • En 1200.
  • Pourquoi ?
  • Un faisceau de raisons : économiques, politiques, climatiques peut-être. Le désordre gagne sur les pourtours de la mer, écumée par les pirates. Les villes vacillent. Les remparts tremblent. C'est la discorde! Donnons à ce grand tremblement le nom de guerre de Troie. Et soudain, le trou noir.
  • Et le repli sur soi du système mycénien n'aurait-il pas conduit à la chute ?
  • C'est ce que notre époque convertie à la religion de l'ouverture et du brassage planétaire (le nom poli de la soumission au commerce total) voudrait croire. Mais tout est plus compliqué.
  • Et ensuite ?
  • Ensuite, les âges obscurs. Les Les archéologues n'ont plus de nouvelles. Sans doute des invasions venues du Nord ont-elles recomposé l'échiquier ethnologique.
  • Et Homère ?
  • Il apparaît comme le lapin hors du chapeau ou la vache hors du lac.
  • C’est une image suisse ?
  • Non, je viens de l'inventer.
  • Quand résonnent l'lliade et l'Odyssée ?
  • Au VIlle siècle, après une parenthèse de quatre siècles. Homère offre ses poèmes. Peu importe qui se cache derrière son nom. La Grèce renaît, l'écriture se fixe, la culture refleurit, la poésie essaime, les arts se formalisent, la mer porte la bonne nouvelle, les Grecs diffusent leur génie, établissent des comptoirs. C'est la renaissance. Fin du Moyen Âge ! L'Iliade et l'Odyssée sont le véhicule du renouveau ! » 
Et c'est ainsi que Pascal Simon développa ce soir-là, pour un public de crabes attentifs et de tisons ardents, la fresque de sa passion : l'expansion du VIlle siècle. Les autres soirs, sur le pont du bateau, nous sortions fumer des havanes, humidifiés d'iode. L'Helvète revenait toujours à ce siècle où les Grecs surent qui ils étaient. Homère, en deux poèmes, rassemblait les informations et indiquait dans une marqueterie d'images lyriques et d'inclusions techniques comment piloter les bateaux, sacrifier aux dieux, festoyer et combattre, c'est-à-dire comment vivre. L'Iliade et l'Odyssée n'étaient pas des manuels de savoir-vivre à destination des jeunes gens mais des bréviaires de l'être à l'usage des membres d'une civilisation rétablie. Les deux poèmes structuraient l'identité. Nous prenions soin de chuchoter ces choses à voix basse car le mot « identité » écorche les oreilles chastes. Certains hommes modernes pensent que le monde est né le jour de leur naissance. L'idée d'une identité collective insulte leur fierté individuelle. Narcisse recule devant Homère. Le premier contemple sa face. Le second embrasse un groupe. L'un dit « je ». L'autre « nous ». Homère enseigna aux Grecs qui ils étaient. Et il transmit la preuve que l'homme a besoin de la littérature pour se connaître ! Sans récit, pas de culture. Sans roman, pas de projet. Sans verbe, pas de chair. Ainsi, l'identité ne serait-elle pas la fille mêlée du sang et du gène, mais l'enfant de la poésie et de la géographie. Et sur la Méditerranée, où croisaient des canots pneumatiques, Pascal Simon et moi rêvions d'un peuple qui aurait dit aux spectres abordant à ses côtes : « Notre terre vous attire, vous y cherchez refuge? Rejoignez-nous ! Mais lisez notre livre dans sa langue car nous sommes fils d'un récit. Et jouez le jeu ! Alors, bienvenue ! »







Texte et illustration tirés de :
Sylvain Tesson :
Un été avec Homère. Voyage dans le sillage d’Ulysse,
éd. des Équateurs, 2020, avec tableaux de Laurence Bost et photographies de Frédéric Boissonnas,
chapitre "Pylos", pages 132 à 135.

Ouvrage embarqué à bord.

Aperçu d'une partie de la bibliothèque embarquée concernant la Grèce ou la navigation : 
couvertures et quatrièmes de couverture.

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Mes coups de cœur 
(pour l'instant) :
La Mandoline du capitaine Corelli
Cinq jeunes filles en Méditerranée et
L'aventure de "Perlette".
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